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Les Voyages Spirituels de James Colpin

Les Voyages Spirituels de James Colpin


La nécessité de réorganiser le monde du travail avec de plus grandes valeurs humaines

Publié par James Colpin sur 1 Mars 2021, 21:21pm

Alors que le monde devient de plus en plus complexe et incertain, de nombreuses personnes partagent le sentiment que notre système est inadapté à nos aspirations, qu’elles soient individuelles ou collectives. Si le contexte sanitaire a accentué cette intuition d’essoufflement de nos structures et de nos modes de vie, il a aussi révélé l’importance du lien humain et de notre interdépendance.

De nombreuses études ont montré que les entreprises où il fait bon travailler sont celles où la qualité des relation humaines sont les meilleures. Une enquête menée à bien il y a quelques années par l’OCDE demanda aux personnes interrogées de classer par ordre d’importance les dix facteurs qui contribuaient le plus à leur bien-être. Le salaire venait en 6e position. Le facteur qui fut jugé le plus important était là aussi la qualité des relations humaines. Or n’est-ce pas la bienveillance, la considération d’autrui, la coopération, la solidarité et autres valeurs altruistes qui font que nous sommes satisfaits de nos relations à autrui ? La poursuite d’un bonheur égoïste est vouée à l’échec. Tout le monde y perd : nous rendons la vie misérable à ceux qui nous entourent et rendons notre propre vie misérable par la même occasion. L’altruisme mène en revanche à une situation où tout le monde est gagnant, en permettant le double accomplissement du bien d’autrui et du sien propre.

La qualité de notre vie au travail est donc un facteur essentiel de notre satisfaction de vie. Or la structure rigide et hautement hiérarchique des entreprises conduit souvent au burnout professionnel. C’est le burnout des employés, souvent coincés entre un supérieur et parfois d’autre personnes qu’ils dirigent, avec une faible marge de manœuvre et très peu de place pour exprimer leur créativité. C’est aussi le burnout des patrons, sous le poids de leurs responsabilités. Frédéric Laloux travailla plusieurs années dans une grande entreprise et en ressorti profondément insatisfait. Il rêvait d’une organisation qui ressemble davantage à un organisme vivant qu’aux engrenages d’une machine. Il se demanda s’il n’existait pas des entreprises dans le monde qui fonctionnent de manière très différente, sans hiérarchie notamment. A sa grande surprise il trouva notamment une dizaine d’entreprises de plusieurs milliers d’employés qui fonctionnaient sans patron, sur le modèle de l’auto-organisation, parmi lesquelles dix-mille infirmières en Hollande, une entreprise de production de pièces détachées pour automobiles dans le nord de la France et une entreprise de cueillette de fruits en Californie. Il tira de son expérience et de ses réflexions un livre remarquable Reinventing Organizations qui connut un grand succès.

Auto-organisation ne signifie nullement "chaos." Il suffit de prendre l’exemple du système le plus complexe qui soit, le cerveau humain, qui s’auto-organise à mesure du développement de l’individu, sans qu’il n’y ait à proprement parler de "poste de contrôle" dans le cerveau. Tout comme dans un organisme vivant, il existe au sein de l’auto-organisation des processus de décisions pour tous les aspects de la vie au travail, mais l’ensemble du système est fondé sur la coopération, la considération d’autrui et le respect de ses capacités particulières. L’altruisme se cultive en entraînant son esprit et, de la même façon les nouvelles méthodes au sein de l’entreprise doivent être adaptées, revues, ajustées à l’écoute de chacun. Comme une structure organique, l’altruisme au travail se développe naturellement dès qu’on le place au cœur de nos motivations. 

La crise de la Covid-19 est un rappel à l’ordre et un avertissement face aux défis bien plus graves que la crise climatique engendre déjà et va engendrer de plus en plus si nous ne faisons pas le nécessaire. Mais elle nous ouvre aussi la voie pour changer en profondeur nos modèles pyramidaux fondés sur le mythe d’une nature humaine uniquement motivée par l’égoïsme. Les travaux de l’économiste Ernst Fehr  à Zurich montrent que nous sommes en réalité naturellement disposés à faire confiance aux autres et à coopérer. Les travaux du spécialiste de l’évolution Martin Novak  à Harvard ont montré que la coopération avait été beaucoup plus créatrice au cœur de l’évolution que la compétition.

Face à la lassitude du monde du travail, à la perte de confiance des citoyens et à la responsabilité de nos entreprises dans la destruction de nos écosystèmes, l’altruisme ne peut plus être considéré comme un noble idéal quelque peu naïf ; il est, plus que jamais, une nécessité.

L’altruisme est essentiellement l’intention de faire le bien là où la compassion est le souhait que l’autre soit libéré de ses souffrances et l’empathie la faculté d’entrer en résonance affective. Nous sommes tous le jouet d’émotions diverses. Chacun redoute la souffrance et aspire au bonheur. Le management actuel sous-estime l’importance des émotions (bien qu’elles interviennent dans toutes nos décisions), et ne prend pas suffisamment en compte les motivations autre que l’intérêt personnel, à savoir l’altruisme et la solidarité. C’est pourquoi, nos environnements professionnels sont souvent sources de stress, de conflits, d’insécurité et de mal-être au lieu d’être des lieux d’épanouissement par le travail.

De la même manière que nous consacrons du temps et de l’énergie à acquérir des compétences lors de formations professionnelles ou comme lors de l’apprentissage d’un instrument de musique, nous pouvons développer nos qualités de bienveillance, d’altruisme et d’équilibre émotionnel, avec persévérance et patience. L’entraînement de l’esprit à la présence attentive (mindfulness ou pleine conscience) nous permet de développer le potentiel de paix et de liberté intérieures présent en chacun. Plus nous développons ces qualités fondamentales, plus nous avons des ressources pour faire face aux aléas de la vie et pour nous ouvrir aux autres.

Un état d’être altruiste permet donc d’envisager les situations dans une perspective plus ouverte, de les considérer sous différents angles et ainsi de prendre les décisions les plus appropriées. Selon, l’économiste philosophe Serge-Christophe Kolm , les avantages de la réciprocité généralisé et de l’authenticité sont multiples. L’information naturellement partagée au lieu d’être monopolisée ou dissimulée favorise l’efficacité, la productivité, la transparence et de fait la confiance. Ainsi, les motivations altruistes permettent la coopération, laquelle augmente l’efficacité. La réciprocité engendre plus de justice dans la distribution des ressources et des bénéfices. La justice, à son tour, favorise la réciprocité, et un cercle vertueux s’enclenche. On voit qu’il y là des bénéfices mutuels pour l’employeur, l’employé, le producteur et le consommateur.

Alors comment procéder et influencer cette dynamique d’altruisme au travail, particulièrement au temps de Covid ? La voie spirituelle peut aider à cultiver l’altruisme véritable et accroître notre compassion ; mais cela est aussi possible de manière laïque puisque nous possédons tous un esprit qui peut être notre meilleur ami comme notre pire ennemi. La pleine conscience bienveillante peut se développer grâce à des techniques d’entraînement de l’esprit, comme la méditation

 

Ecrit par Matthieu Ricard, moine bouddhiste

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